Et si aujourd’hui je vous parlais non pas d’une période dans l’Histoire de l’alimentation, mais d’un aliment en particulier ? Un aliment que vous connaissez bien mais qui a aujourd’hui quelque peu perdu de sa superbe… Je veux vous parler du beurre.
Le beurre est une matière grasse obtenue à partir de la crème du lait que l’on baratte (on agite la crème dans une baratte pour isoler les molécules grasses de la partie liquide). Son histoire remonte à au moins 4500 avant J.C, date à laquelle figure la première trace écrite mentionnant cet aliment et qui coïncide avec le développement de la domestication des vaches. Mais si le beurre a une histoire ancienne, il a cependant été dénigré pendant plusieurs siècles suite à l’influence Gréco-romaine: n’appréciant pas le beurre et rebutés par ce produit alimentaire, les grecs puis les romains s’en servaient comme crème pour le visage et certainement pas pour la cuisine. L’influence romaine s’est ensuite étendue en Gaule et pendant longtemps le beurre a été considéré comme la graisse du pauvre.
C’est au Moyen-Âge qu’est imprimé le premier livre de cuisine, en 1486. Il existait toutefois des manuscrits culinaires en langue vernaculaire (langue parlée par une petite communauté) qui circulaient entre le 13ème et le 14ème siècle. On n’y mentionne pas encore le beurre mais le « sain » (ou saindoux), une graisse de porc fondue, sans viande, qui remplaçaient le beurre et l’huile dans presque toutes les préparations. Le beurre ne fait une entrée remarquée dans nos assiettes qu’à la Renaissance, avec l’apparition des traités culinaires pour la pâtisserie et les sauces. Il permettra notamment de créer une nouvelle technique de liaison et de sauce : le roux, un mélange cuit de farine et de beurre dilué à l’eau ou au bouillon.
Patrick Rambourg, historien et spécialiste de la cuisine et de la gastronomie, estime que « le beurre et le lard sont les corps gras les plus employés dans la cuisine des Lumières, loin devant l’huile d’olive rare dans la cuisine du Grand Siècle, à l’exception du monde méditerranéen« . Le succès du beurre dans la cuisine est également du aux pratiques religieuses: l’Église interdisait les matières grasses animales durant le carême et les jours maigres, mais avait autorisé la consommation de beurre les mercredis, vendredis et samedis quant on ne pouvait pas consommer de viande… Dès lors, le beurre devint un aliment quotidien et la « matière grasse » des recettes « maigres ».
Au XIXème siècle, aux côtés de l’huile et du lard, le beurre devint l’incontournable corps gras de la cuisine française, mais il disparu quelque peu des cuisines suite à la Première et Seconde Guerres Mondiales.
Dans la France des années 45-50, le beurre est synonyme d’opulence et de bon goût, mais aussi un aliment de gastronomie dont on a été privé pendant la guerre et qui fait un retour triomphal sur les tables des ménages. La cuisine au beurre devient gage de qualité et un élément incontournable de la cuisine bourgeoise et de la grande gastronomie française. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher d’illustrer mon propos avec une photo de « Filets of Sole Meuniere« , une recette de Julia Child, son tout premier repas en France en 1946, qu’elle évoquera toujours avec beaucoup d’émotion.
La stigmatisation du beurre a débuté dans les années 60 avec la montée de la « cuisine minceur », qui devient un marqueur d’élégance et de santé à un moment où la France grossit. Après la peur de la maigreur succède celle des maladies cardio-vasculaires et des lipides d’origines animales, chargés en graisses saturées… Le beurre cuit, ou frit, disparait peu à peu des recettes et de nos tables. Le beurre brunit, ou noisette, qui n’est rien qu’un beurre dont les sucs caramélisent, est montré du doigt: sa couleur brune entraine une autre peur, plus médicalisée, celle du cancer.
Et pourtant pourquoi avoir peur du beurre ? Il est un merveilleux exhausteur de goût, il est moins gras que de l’huile (82% de matière grasse, contre 100% pour l’huile !) et il est une source essentielle de vitamine A (nécessaire à la croissance, à l’intégrité de la peau). Aujourd’hui les Chefs réhabilitent peu à peu le beurre dans leurs recettes et il a été réintégré des les pratiques culinaires des français, au petit déjeuner sur une tartine ou comme matière grasse dans la poêle.
Et si vous vous demandez quelle est la différence entre les beurres jaunes et les beurres blancs que vous pouvez voir sur les étals, laissez moi vous répondre: tout dépend de l’alimentation de la vache ! En fonction de la saison, du climat ou du terroir vous obtiendrez des beurres de couleurs différentes: les beurres de printemps et d’été sont en général plus foncés que ceux d’hiver car l’herbe à cette époque est riche en pigments!
Source:
– Patrick Rambourg, « Tros gros ? L’obésité et ses représentations – Manger gras. Lard, saindoux, beurre et huile dans les traités de cuisine du Moyen-Âge au XXème siècle ».
– Le CNIEL, « La vraie et la fausse histoire du beurre ». Photographies.
– http://www.cerin.org